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La Révolte Chapitre 6

Publié le par Christophe

 

VI

 

 

  Il y a plusieurs générations de cela, de grands décideurs avaient instauré un nouveau régime social dans la plupart des pays. Après bien des siècles de guerres, de famine, de massacres, d'épurations et de terreur, ils étaient enfin parvenus à créer et maintenir coûte que coûte un modèle communautaire satisfaisant : la Démocratie. Liberté, Egalité, Fraternité. Chacun était alors maître de ses pensées, de ses mouvements et de son avenir. Chacun pouvait, s'il en avait les capacités, devenir quelqu'un, et avait la chance de pouvoir s'exprimer, de quelque façon que ce fût, quoiqu'il eût à dire. La terre promise était enfin à portée de l'homme.
  Mais celui-ci ne put se résoudre à toujours vivre en paix avec les siens. Trop d'alliances et de pactes l'empêchaient plus ou moins de poursuivre son oeuvre auto-destructrice. Les combats idéologiques qui secouèrent ces temps révolus avaient eux-mêmes de moins en moins l'approbation de leurs propres partisans. Alors l'homme s'inventa une nouvelle forme de guerre : la guerre économique. La planète se divisa alors en deux conglomérats. On obligeait les nations les plus démunies à produire à moindre coût, et ce en restant dans la plus profonde misère, tandis que les plus riches d'entre elles se devaient de consommer à outrance, sans avoir vraiment besoin, ni envie.
  Quand un consortium capitaliste devenait trop important et que ses bénéfices augmentaient de manière outrancière, leurs dirigeants délocalisaient leurs moyens de production vers des pays moins développés, moins chers en main d'oeuvre, afin d'échapper la plupart du temps aux impôts, taxes et autres lois de protection des travailleurs en vigueur dans leurs propres pays, qui les étouffaient et ne les arrangeaient guère.
  Il n'était pas rare de voir des sociétés florissantes amasser des milliards d'un côté et licencier à tour de bras de l'autre, pour rester compétitifs, comme ils disaient.
  Des millions de familles se retrouvèrent alors jetées sur le bas-côté de la route, abandonnées à leur propre sort, et le plus souvent sans réelle issue de secours. La liberté des uns commençait là où celle des autres se réduisait comme peau de chagrin. La logique économique d'alors ne faisait que peu de cas de la vie humaine, et seuls les profits financiers étaient privilégiés dans ce système autocratique. Le droit de chacun était alors de s'occuper d'abord de lui-même, sans se soucier vraiment de ce qui se passait autour de lui. Ceux qui pouvaient s'en sortir le faisaient, tout simplement ; les autres crevaient dans l'indifférence quasi générale.
  Bien sûr, des voix s'élevèrent à travers le monde contre ces méthodes barbares et impitoyables. La télévision, les journaux, la radio, Internet, le fax, le téléphone, les livres, différents modes d'expression artistique permirent à certains mouvements contestataires de manifester et d'entretenir la flamme de leur révolte contre tous ces hommes sans scrupules qui se piétinaient les uns les autres, épuisaient sans vergogne les ressources de la planète pour assurer leur réussite personnelle, et se massacraient sans état d'âme.
  En vain.
  Ces mercenaires de l'argent pouvaient raser des forêts entières, polluer les océans, exterminer des espèces animales jusqu'au dernier, détruire le fragile équilibre naturel de la vie juste pour être en mesure de payer le nouveau jouet à la mode à leurs enfants, entretenir à grands frais leurs demeures majestueuses et leurs voitures de luxe, offrir un dernier bijou à madame.
  Enfin, pour défendre plus encore leurs privilèges, ces hommes décidèrent de tout normaliser, de tout unifier, progressivement, afin d'éliminer au maximum toute culture de différence, toute prise de conscience fâcheuse, tout soulèvement de colère pouvant stopper cette nouvelle forme de lutte.
  La mondialisation humaine était en marche. Tous devaient vivre de la même manière, s'habiller de la même façon, manger les mêmes faux aliments, croire les mêmes mensonges.
  Après avoir banni les religions, ils foulèrent du pied les valeurs et les traditions, écrasèrent les derniers repères qui faisaient des hommes des êtres humains. Les nouveaux dieux étaient alors les stars du show-business, et les sportifs, les héros du nouveau monde. On faisait plus de cas des déboires sentimentaux d'un acteur à la mode que des millions d'hommes, de femmes et d'enfants qui mouraient de faim, de maladie et de guerre pendant ce temps.
  On idolâtrait des gens ordinaires, juste parce qu'ils étaient médiatisés l'espace d'un instant.
  Ces hommes bâtirent petit à petit une société uniforme de plaisirs et de contemplation dans laquelle la population n'avait plus vraiment à garantir quoi que ce soit, et dans laquelle sa préoccupation principale était de savoir comment dépenser l'argent qu'elle ne possédait même pas.
  Cela semblait fonctionner. Ils donnèrent du bonheur factice et des jeux puérils aux hommes, qui s'en contentaient. Ils les ballottèrent dans un monde virtuel et sans saveur, ils n'en demandaient pas plus. Ils entérinaient des décisions capitales à leur place, en assurant la main sur le coeur que tous participaient activement à la bonne marche de la société. Chacun devait avoir confiance en son avenir, par le peuple et pour le peuple, et s'en remettre entièrement aux lois établies, car la justice était aveugle et égale pour tous.
  L'illusion de la démocratie faisait son oeuvre.
  Mais plus cette conception sociale progressait, plus elle dévoilait ses failles. Les ennemis de ce nouveau régime totalitaire devenaient de plus en plus nombreux et virulents. Malgré la volonté des gouvernements impliqués d'en atténuer l'importance, des manifestations anti-mondialistes éclataient un peu partout dans le monde. Des tracts dénonciateurs, des informations terrifiantes sur les véritables pratiques des grands trusts financiers, en cheville avec des politiciens impuissants et sans grande envergure circulaient parmi les opposants à la vitesse de la lumière.
  D'autres mouvements contestataires et organisations de défense des exclus naissaient et croissaient à vue d'oeil. Ils utilisaient tous les moyens de communication à leur disposition pour combattre ces gens-là. Ces moyens de communication qui étaient censés isoler les hommes plus qu'ils ne devaient les rapprocher.
  La liberté d'expression, si chèrement gagnée au cours des siècles, le pouvoir de dire oui ou non devenait un obstacle sérieux au processus en marche. Les choses seraient bien plus simples lorsque tous approuveraient les mêmes décisions au même moment, sans broncher. Cela devait être ainsi, il n'y avait pas d'alternative possible.
  Il fallait trouver une solution.

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