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La révélation de Conrad-Part IV

Publié le par Kitouf

  William Dufournet allait bientôt célébrer ses soixante printemps, et cela ne l’enchantait guère plus que les lettres de relance mensuelles qu’il recevait depuis près de quatre années maintenant de la part de maître Naudin, huissier de justice assermenté, facturées quatre-vingt dix euros pièce et qui lui signifiaient tous les cinq du mois qu’il ne s’était toujours pas acquitté de la totalité des dettes de son ex-épouse, madame Monique Dufournet, née Tardieu.

  William n’avait jamais réellement aimé sa femme, mais aujourd’hui il la détestait plus que tout. Tout avait été de sa faute, comme d’habitude.

  Monsieur Dufournet avait travaillé dans l’industrie automobile jusqu’à l’âge de cinquante ans. Durant la moitié de sa vie, il avait entretenu et réparé toutes les machines-outils de son usine, armé seulement d’un bon savoir-faire et d’une ribambelle d’apprentis qui donnaient leur démission à la moindre entaille au doigt, bénignes soient-elles.

  L’autre moitié de son existence, il l’avait dépensée dans tous les bars PMU de la ville, dilapidant ainsi l’argent du ménage pour entretenir des canassons qui, pour la plupart, ne valaient pas la paille sur laquelle ils crottaient chaque jour en toute quiétude.

  William Dufournet rafistolait alors ses finances comme beaucoup d’autres, empruntant à droite, remboursant à gauche, gagnant parfois et perdant souvent, le tout à l’insu de sa pauvre femme et fortement accompagné d’anis, olives et cacahuètes diverses.

  Mais madame Dufournet, n’ignorant pas le vice de son imbécile de mari, décida un beau jour qu’elle ne supportait plus sa triste existence et osa enfin s’affirmer après vingt-cinq ans d’un mariage soumis, monotone et sans tendresse. Ce qu’elle désirait maintenant, c’était réaliser le grand rêve de sa vie. Alors elle supplia, implora, harcela son époux jusqu’à ce qu’il capitule et se fasse livrer à grands frais le superbe salon salle à manger tout en chêne de Hollande et cuir de veau véritable qui hantait ses nuits depuis plus de dix ans maintenant.

  Monsieur Dufournet, n’ayant pas osé avouer à sa femme ce qu’elle savait depuis longtemps déjà, dégaina son carnet de chèques et signa de fait son arrêt de mort.

  A bout de ressources, ayant mangé l’héritage de son vieux père, sa participation sur bénéfices de l’usine et plus de six mois d’avances sur salaire, William tenta une ultime reconversion. Il troqua alors son tournevis professionnel contre un bon chalumeau d’occasion et se proclama perceur de coffre-fort intermittent, pensant ainsi régler très vite tous ses problèmes d’argent.

  Son premier cambriolage combla une partie de son découvert bancaire, le second fit le bonheur de tous ses amis turfistes et du patron du Bar de la Place, tandis que le troisième le conduisit tout droit au centre de détention pénitentiaire le plus proche pour une période indéterminée de cinq ans.

  Un jour, au réfectoire, William fut embarqué bien malgré lui dans une rixe entre plusieurs détenus et finit son plateau repas aux urgences puis à l’infirmerie de la prison, la cuisse droite profondément entaillée par une lame de rasoir rouillée qui n’avait rien à faire en un tel endroit. Quand il regagna sa cellule quelques semaines plus tard, traînant derrière lui sa patte désormais en retard d’un demi temps pour le reste du temps qui lui restait à tirer et plus encore, il apprit qu’il avait sauvé par hasard la vie d’un certain Antoine Lavandier, qui purgeait alors un an pour fraude fiscale, en tombant lourdement sur son agresseur après avoir malencontreusement glissé sur un plat de purée qui traînait par là et accepté le coup de rasoir à la place de son destinataire originel.

  A sa sortie de prison, deux ans, trois mois et dix-sept jours après les faits susnommés, William rencontra Antoine Lavandier au Club, dont il était déjà l’heureux propriétaire. Celui-ci, en homme d’honneur qui reconnaît sa dette, offrit à son sauveur de fortune, ancien taulard au chômage, une protection, un travail et un nouveau nom.

  C’est ainsi que William Dufournet, ouvrier machiniste et parieur maudit devint, à cinquante-cinq ans, Gros Willy, serveur dans un bar d’ambiance à la solde de Tony, grand bouffeur de semelles droites devant l’Eternel et encore redevable du living-room qui illuminait désormais, avec le reste du mobilier, les vieux jours de son ex-épouse, madame Monique Dufournet, jadis mademoiselle Monique Tardieu et que Dieu bénisse le veau véritable.

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